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Intersyndicale ESR

Rapport final de l’enquête sur la précarité dans l’enseignement supérieur et la recherche

mardi 9 février 2010, par Marc Champesme

Consultez ci-après l’introduction du rapport final et téléchargez le rapport complet...

Le 20 octobre 2009, l’intersyndicale de l’enseignement supérieur et de la recherche a lancé une grande enquête en ligne sur l’emploi précaire dans l’enseignement supérieur et la recherche publique (ESRP) en France. Elle concernait les personnels précaires des universités et des établissements de recherche (neuf EPST : CNRS, Cemagref, Inserm, Ined, Inra, IRD, Inrets, Inria, LCPC [1]).

Au total, 4 409 personnes ont répondu au questionnaire [2]. L’ensemble des répondant.e.s est constitué à la fois de chercheur.e.s (doctorant.e.s et docteur.e.s), de personnels techniques (ingénieur.e.s, bibliothécaires, etc.), d’enseignant.e.s vacataires ou contractuel.le.s, ainsi que de personnels administratifs (secrétaires, comptables, etc.).

Une enquête inédite. Cette enquête, à une telle échelle, et avec l’ambition de toucher tous les métiers et l’ensemble des établissements de l’ESRP, est la première en son genre. Elle ne répond pas à toutes les questions soulevées par la précarisation de l’ESRPmais elle apporte des informations cruciales qui manquaient jusqu’à présent aux différents comptages établis par les institutions de l’ESRP. Restituant les trajectoires individuelles, elle permet de saisir la réalité de la précarité pour les personnes qu’elle concerne directement : aussi bien dans ses modalités objectives (contrats indignes, rémunérations irrégulières et souvent basses, vulnérabilité à l’égard des supérieur.e.s hiérarchiques, morcellement du travail) que subjectives (sentiment de ne pas être considéré.e pour le travail effectué, difficultés à se projeter dans l’avenir). Cette enquête repose sur la définition par les personnes elles‐mêmes de ce qu’est la précarité.

Pourquoi un questionnaire sur les précaires de l’ESRP ?

La précarisation de l’ESRP en explosion ces dernières années. Cette situation a amené l’Observatoire des Sciences et Techniques (OST) à rédiger un rapport sur les chercheur.e.s non permanent.e.s sous contrat, fondé sur les statistiques administratives (les contrats). Le rapport en recense 5 200 en 2006, soit 23% de l’effectif total des chercheur.e.s des organismes dans les EPST et 16 000 dans les établissements universitaires membres de la Conférence des Présidents d’Université (CPU), soit là encore 23,5% des effectifs totaux. Ces chiffres comprennent les doctorant.e.s. Au total en 2006, l’ensemble de l’ESRP compte 23,4% de chercheur.e.s non permanent.e.s. Or, à cette date, la politique de développement de la recherche sous contrat n’en est qu’à ses débuts. L’ANR n’est instituée que l’année suivante.

A titre d’exemple, entre 2006 et 2008 au CNRS, alors que la part des personnels dits « permanents » ne cesse de reculer (‐1,5%), celle des dits « non permanents » (c’est‐à‐dire travaillant pour le CNRS dans le cadre d’un contrat à durée déterminée) a explosé (+15,5%). Le tableau suivant, tiré du bilan social du CNRS, en témoigne :

Évolution des effectifs du CNRS selon le statut
Effectif 2006 Effectif 2007 Effectif 2008 Variation 2008/2006 (en %)
Permanents Personnels physiques 26 078 25 911 25 686 -1,5
Équivalents temps plein sur l’année 25 485,6 25 319,6 25 233,2 -1,0
Non permanents (doctorant compris) Personnels physiques 6 597 7 124 7 619 +15,5
Équivalents temps plein sur l’année 5 698,5 6 512,4 7 205,8 +26,5
Doctorant [3] Personnels physiques 2 495 2 466 2 528 +1,3
Équivalents temps plein sur l’année 1 741,2 1 726,4 1 944,21 +11,7
Précaires (doctorant non compris) Personnels physiques 4 850 5 405 5 682 +17,2
Équivalents temps plein sur l’année 3 957,3 4 786 5 261,6 +33,0
Ainsi que le montre ce tableau, le comptage des personnels « non permanents » est très partiel : il inclut les doctorant.e.s sans les distinguer d’autres personnels non permanents pourtant très différents d’eux (docteur.e.s, personnels administratifs et techniques) ; une telle confusion peut donner à penser que la population des non permanents augmenterait parce que l’ESRP français produirait plus de doctorant.e.s alors que leur part est minoritaire par rapport aux autres personnels non permanents. Qui plus est, dans le même temps, sont exclus de ces calculs les apprenti.e.s, alors même que ces dernier.e.s, comme les doctorant.e.s, sont à la fois des personnels à part entière de l’ESRP puisqu’ils contribuent à la faire fonctionner, et des personnes en formation. L’évaluation du nombre des personnels non permanents est ainsi en dessous de la réalité rien qu’en tenant compte de cette faille dans le calcul, qui n’est qu’une parmi d’autres. Nous ne multiplierons pas les exemples et retiendrons les grandes lignes de ce qui manque à la comptabilité publique.

Les parts d’ombre de la réalité des précaires que le questionnaire veut mettre au jour. Tout d’abord, le questionnaire vise à en établir une vue d’ensemble, alors que l’ESRP est morcelé : si les établissements de recherche (CNRS, Inserm, etc.) ne sont que huit, la France compte en revanche 83 universités, des Epic [4], des grandes écoles, etc., ce qui signifie autant de bilans sociaux à compiler ; l’« autonomie » des universités renforçant encore les aléas d’un tel travail. Par ailleurs, les institutions de l’État sont tenues de publier dans leurs bilans sociaux la part des précaires parmi leurs personnels, mais celle‐ci ne comprend qu’une fraction d’entre eux : ceux qui ont signé un contrat à durée déterminée. Tous les autres, qui travaillent dans le cadre de vacations (c’est‐à‐dire payés à l’heure, en dehors de tout contrat et donc de protection sociale), ou bien en usant de prête‐noms, en l’échange de services, etc. n’apparaissent pas dans la comptabilité nationale.

Enfin, notre enquête cherche à saisir ce que signifie pour un individu l’expérience quotidienne de la précarité. Elle en donne une vision non pas d’en haut et dans une perspective purement comptable, mais à partir des expériences individuelles : le questionnaire ne s’intéresse pas qu’au point de vue de l’organisation de l’ESRP mais à la signification que prend pour une personne le fait de courir après les contrats, de devoir trouver des solutions ponctuelles de rémunération entre deux emplois, de subir des baisses de rémunérations aléatoires, d’être considérée comme un personnel de deuxième catégorie, de ne pas pouvoir faire d’emprunt pour s’acheter un logement, d’hésiter à fonder une famille dans l’incertitude de son avenir professionnel, etc. En retour, c’est un nouveau regard sur le fonctionnement de la recherche et de l’enseignement supérieur qui est révélé : émietté, sans perspective à long terme, pour partie improductif parce que déchiré dans les tensions entre les différents statuts de ses acteurs et reposant pour une large part sur des individus susceptibles pour beaucoup d’entre eux de quitter le navire afin de trouver mieux ailleurs.

Attention, cette enquête n’est pas un recensement

Personne ne connaît la population de référence des précaires de l’ESRP. Les ministres François Goulard puis Valérie Pécresse se sont engagés à dénombrer les précaires. Cela n’a pas été fait. Seul le ministère pourrait organiser un recensement des précaires qui ne tienne pas seulement compte, comme c’est le cas dans les bilans sociaux des établissements de l’ESRP, des contrats mais des personnes.

Une enquête menée dans ces conditions pose des problèmes particuliers, mais déjà connus. Comme toutes les enquêtes auprès des populations difficiles à atteindre (par exemple les sans‐ abris, les drogués, les personnes atteintes du Sida, etc.), la première difficulté à lever, c’est d’atteindre la population visée. L’outil Internet nous a semblé le plus apte à la toucher puisqu’elle travaille dans un contexte où il très répandu, et où les personnels ont depuis longtemps l’habitude de diffuser les informations. Internet est un outil d’autant plus précieux qu’il n’est pas rare que les personnels précaires n’aient pas de bureau attitré ou ne viennent sur leur lieu de travail que ponctuellement en fonction de leur activité, souvent discontinue.

La seconde difficulté de notre entreprise résidait dans la définition de l’objet. Il ne pouvait s’agir d’imposer une définition de la précarité qui nous aurait amenés à ne pas saisir toute la diversité des situations que cette notion recouvre. Nous avons choisi la définition qu’en donnent les individus eux‐mêmes. Ont répondu à cette enquête toutes les personnes qui se considèrent comme précaires et non celles qui sont considérées statutairement comme telles.

Enfin, en l’absence de données de recensement, il est impossible de construire un échantillon représentatif (aléatoire ou stratifié). Notre enquête a donc un statut d’enquête exploratoire. Ne pouvant prétendre à compter, elle vise à décrire. S’agissant d’enquête exploratoire, les chiffres qu’elle fournit sont des indications pour mettre en relation les situations des personnes qui se définissent comme précaires. Elle permet d’avancer dans la connaissance de la précarité dans l’ESRP et doit déboucher sur la demande de création d’indicateurs mieux à même de rendre compte de la précarité dans ce secteur.

Sortir la précarité et les précaires de l’invisibilité. Une telle étude ne vise donc pas à établir précisément la distribution de l’ensemble des précaires au sein de l’ESRP, mais surtout à mieux comprendre, de façon tant qualitative que quantitative, une série de situations vécues aujourd’hui. Le dévoilement des conditions de travail et de vie des précaires est un enjeu fondamental de nos métiers. Non seulement, il contribue à objectiver des conditions de travail que l’institution veut développer alors même qu’elles créent de l’insécurité professionnelle et personnelle, mais il donne voix au chapitre à des personnels « invisibilisés ». C’est l’ensemble des personnels de l’ESRP, non permanents comme permanents, qui l’entendent : cette voix peut conduire les premiers à sortir de leur isolement, les seconds à manifester leur solidarité à leur égard, mettre au cœur de leurs revendications la question de la précarité et être attentifs, au quotidien, à la hiérarchisation mécanique qu’induisent les différences de statuts entre collègues.

Questions de méthode

Architecture générale du questionnaire [5]. Le questionnaire compte huit parties qui prennent en compte les principales caractéristiques socio‐démographiques des répondant.e.s, leurs fonctions dans l’ESRP, leurs conditions de travail et de vie, leur sentiment sur leur situation. Les titres de chaque partie donnent une idée générale de la démarche adoptée : 1. « Votre lien avec l’enseignement supérieur et la recherche publique » ; 2. « Votre situation actuelle » ; 3. « Vos ressources » ; 4. « Vos conditions de travail et de vie » ; 5. « Reconnaissance et perspectives d’avenir » ; 6. « Votre parcours » ; 7. « Identité et diplôme » ; 8. « Votre appréciation de votre situation ».

Tendre à l’exhaustivité des situations. Nous avons multiplié les possibilités de réponses en fonction de ce que nous savons de la précarité pour la vivre, l’avoir vécue ou vivre à ses côtés quotidiennement. Et nous avons toujours laissé la possibilité aux répondant.e.s d’ajouter des catégories qui nous auraient échappé (d’où les nombreuses occurrences de « autre » dans les propositions de réponse pour que soient contrés nos impensés et nos oublis). A la saisie des données objectives concernant les conditions de vie et de travail des précaires dans l’ESRP, nous avons ajouté la possibilité pour les répondant.e.s de s’exprimer librement en fin de questionnaire dans deux questions ouvertes : pour compléter ce qu’ils avaient mentionné dans leurs réponses précédentes, donner une signification globale à leur expérience, exprimer ce qu’ils attendaient des syndicats et/ou de leurs collègues statutaires pour l’amélioration de leurs vies, enfin le cas échéant pour formuler des critiques à l’égard du questionnaire.

Des données objectives recueillies par des professionnel.le.s de l’enquête. Regroupant des personnes ayant une culture sociologique, complétée par de la psychologie sociale, et pour la plupart une expérience solide dans le traitement et la saisie des données quantitatives, l’enquête s’est appuyée sur des compétences professionnelles. Si notre motivation est d’ordre politique et doit à nos yeux déboucher sur une prise de conscience des catastrophes pour les individus et pour l’ESRP que constitue leur précarisation galopante, notre entreprise s’est conduite de façon scientifique. Nous avons ainsi construit un questionnaire qui ne manque pas de défauts mais qui, le plus possible, s’est efforcé d’être neutre et de favoriser un taux de réponse maximum parce qu’embrassant une très grande diversité de profils. Les questions d’opinion sont rares : il est important qu’il y en ait parce qu’elles permettent de rendre compte des expériences ressenties et qu’elles sont un lieu d’expression individuelle. Mais nous avons privilégié les questions de faits parce que la précarité, ce sont d’abord des faits objectifs liées aux conditions matérielles de travail. Notre expérience en matière de consultation quantitative nous a aussi permis d’établir un document lisible, facile à remplir, attentif aux écueils classiques de ce type de démarche.

Logiciels de saisie et de traitement des données. Dès lors que la décision était prise par l’intersyndicale, il fallait aller vite. Nous avons choisi la diffusion et la collecte via l’outil en ligne offert par Google Docs. Celui‐ci comporte quelques défauts dans le formatage du questionnaire en ligne ou la manipulation des données, mais s’est avéré fiable et pratique. Les données ont été ensuite récupérées sous EXCEL, puis transférées sous le logiciel MODALISA.

Un questionnaire anonyme. Nous avons été d’autant plus vigilants au respect de l’anonymat des répondant.e.s que nous savons combien il peut être difficile, voire pénalisant, pour des personnes très dépendantes de leurs employeurs et sur un marché du travail très concurrentiel de s’exprimer ouvertement sur leurs conditions de travail. A tel point que nous n’avons posé aucune question concernant leur lieu géographique de vie et de travail pour qu’ils et elles ne craignent pas qu’on les repère ; ce faisant, nous nous privions d’une information intéressante ; mais nous savions que poser une question de ce type nous faisait courir le risque d’un refus important de réponses, ce qui aurait été encore plus dommageable pour l’analyse.

Rapport final – mode d’emploi

Nous avons construit ce rapport de telle sorte qu’il puisse être lu de plusieurs manières et à différents niveaux.

La première partie constitue une synthèse des résultats présentés de façon plus analytique par la suite. Elle conjugue les principales découvertes du questionnaire saisies d’un point de vue quantitatif avec l’analyse qualitative des commentaires libres rédigés par les répondant.e.s en fin de questionnaire. L’ensemble donne à voir l’expérience de la précarité dans sa globalité.

La deuxième partie, quant à elle, revient largement sur les données concernant chaque catégorie de personnes précaires : chercheur.e.s (doctorant.e.s et docteur.e.s), personnels techniques (ingénieur.e.s, bibliothécaires, etc.), enseignant.e.s vacataires ou contractuel.le.s, ainsi que personnels administratifs (secrétaires, comptables, etc.), essentiellement selon leur niveau de diplôme, leur âge, leur sexe, leur appartenance disciplinaire et leur métier au sein de l’ESRP. Elle présente la matière des données recueillies par le questionnaire : des tableaux et des graphiques commentés développent les principaux résultats présentés dans un premier temps.

Enfin, des annexes viennent encore satisfaire le lecteur curieux. La première, comme il se doit, donne accès au texte du questionnaire, dont l’architecture est commentée. La deuxième et la troisième sont faites de tableaux et de graphiques complémentaires dont le corps du texte a été élagué pour plus de lisibilité.


Cette enquête a été pilotée pour l’intersyndicale par :
 Charles‐Antoine Arnaud : ingénieur de recherche statisticien en géographie au CNRS, laboratoire ADES (UMR 5185), Pessac.
 Isabelle Clair : chargée de recherche en sociologie au CNRS, laboratoire CRESPPA‐GTM (UMR 7217), Paris.
 Annick Kieffer : ingénieure de recherche en sociologie au CNRS, laboratoire CMH (UMR 8097), Paris.
 Christine Roland‐Lévy : professeure de psychologie sociale à l’université de Reims Champagne‐Ardenne, laboratoire de Psychologie Appliquée, LPA (EA 4298).

Le rapport a été rédigé par :
 Charles‐Antoine Arnaud : ingénieur de recherche statisticien en géographie au CNRS, laboratoire ADES (UMR 5185), Pessac.
 Florence Audier : ingénieure de recherche en économie à l’université de Paris I, laboratoire CES‐Matisse (UMR 8174).
 Isabelle Clair : chargée de recherche en sociologie au CNRS, laboratoire CRESPPA‐GTM (UMR 7217), Paris.
 Matthieu Hély : maître de conférences en sociologie à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense, laboratoire IDHE (UMR 8533).
 Annick Kieffer : ingénieure de recherche en sociologie au CNRS, laboratoire CMH (UMR 8097), Paris.
 Christine Roland‐Lévy : professeure de psychologie sociale à l’université de Reims Champagne‐Ardenne, laboratoire de Psychologie Appliquée, LPA (EA 4298).
 Wilfried Rault : chargé de recherche en sociologie à l’INED, Paris.
 avec la collaboration de Anne‐Laure Negro, doctorante en sociologie à l’université de Lyon 2, laboratoire GRS (UMR 5040).


[1CNRS = Centre national de la Recherche Scientifique ; Cemagref = Institut de recherche pour l’ingénierie de l’agriculture et de l’environnement ; Ined = Institut national d’études démographiques ; Inra = Institut national de recherche agronomique ; IRD = Institut de recherche pour le développement ; Inrets = Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité ; Inserm = Institut national de la santé et de la recherche médicale ; Inria = Institut national de recherche en informatique et en automatique ; LCPC (Laboratoire Central des Ponts et Chaussées).

[2Le taux de réponses non exploitables est très bas, ce qui est rare pour un questionnaire de huit pages demandant au moins dix minutes pour être rempli.

[3Estimation : le CNRS compte les doctorant.e.s parmi les non‐permanent.e.s. ; un calcul de leur part est ici proposé. Source : Bulletin de la recherche scientifique, n. 441, octobre 2009.

[4Epic = établissement public à caractère industriel et commercial.

[5Pour un commentaire plus détaillé de cette architecture, des raisons qui lui ont présidé et pour la lecture du texte in extenso du questionnaire, se reporter à l’annexe n. 1.